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LE TILT (plus long que d’habitude pour vos vacances d’été😎)
Quand l’individualisme se métamorphose en libertarisme…
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Les 30 dernières années mondialisées ont été marquées par l’individualisation, l’effondrement des grands cadres intégrateurs, la dilution des collectifs et le règne grandissant de l’utilitarisme, de la réalisation de soi et de l’affirmation de l’identité individuelle, démultipliée de manière exponentielle par les réseaux sociaux.
La double élection de Donald TRUMP et Javier MILEI a marqué une nouvelle étape avec le passage de l’individualisme au libertarisme, d’une liberté exprimée encore dans un cadre collectif à l’affirmation de la liberté comme valeur suprême, à l’écart de tout cadre collectif, hors de toute intégration.
Ma liberté vaut plus que tout le reste, elle est un droit naturel inaliénable, elle ne s’arrête plus à celle d’autrui, voilà le principe libertarien ! Cette conception de liberté supporte mal la régulation et le contrôle, et on trouve alors au fondement du libertarisme, en Argentine comme aux États-Unis, la détestation d’un État forcément liberticide.
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S’il fallait chercher des allégories du libertarisme, on en trouverait deux, très aisément. Une monnaie, d’abord : le bitcoin, libre, non souveraine, créée par des individus et non des États. Un sport ensuite : le MMA, où la règle est…l’absence de règle et de codes. Le passage de la boxe au MMA, d’une violence codifiée et encadrée à une brutalité sauvage dérégulée et illimitée, symbolise le passage de l’individualisme au libertarisme. Et donne immédiatement à voir les idéologies connexes, le masculinisme, le culte de la force, le culte de l’argent et de la réussite, à tout prix, quel qu’en soit le prix.
En France, les premiers symptômes apparaissent comme autant de signaux faibles :
- Le rejet face à un sentiment d’infantilisation. 55% des salariés français ont le sentiment d’être trop infantilisés dans leur entreprise. Plus largement, l’injonction morale et comportementale irrite de plus en plus largement l’opinion, en témoigne le recul dans toutes les enquêtes de l’adhésion aux consignes de « bons » comportements idéologiques.
- La diffusion de l’idéologie du free speech : toutes les études qualitatives réalisées par l’Institut Bona fidé montrent que la fin de la chaîne C8 est bien plus vue par les catégories populaires et moyennes comme liberticide que comme une juste sanction d’une chaîne ne respectant pas son cahier des charges. Le « on ne peut plus rien dire » face à ce qui apparaît comme du politiquement correct se diffuse, et dans le même temps la conception d’une liberté d’expression à l’américaine.
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Un renversement en cours du rapport à l’État : les Français lisent dans la dégradation de « leurs » services publics, école et hôpital particulièrement, un signe du déclin de l’État et du pays. L’érosion de l’État Providence inquiète quand, en parallèle, exaspère la montée d’un État perçu comme trop contraignant et parfois vu comme «malveillant». On se souvient de la colère des gilets jaunes contre les radars par exemple. Ce double mouvement fragilise le rapport à l’État de manière inédite en France. Dans ce contexte, la prochaine «éruption» pourrait bien être la fissuration du consentement à l’impôt, causée par une logique délétère en voie de diffusion dans les classes moyennes et populaires : le sentiment de « payer toujours plus » pour « avoir toujours moins », accréditant les idées que l’État est mal géré et le politique corrompu. Le succès sur les réseaux sociaux de l’expression « c’est Nicolas qui paye », décrivant un homme blanc de la classe moyenne sur lequel pèserait tout le fardeau des prélèvements publics, en est l’illustration la plus récente et la plus emblématique.
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Parce qu’il gagne les représentations de l’opinion, le libertarisme gagne aussi la communication des marques. Depuis longtemps, elles ont fait de la liberté un sujet publicitaire. Du Club Med qui évoque « l’esprit libre » à McDo qui vous invite à « venir comme vous êtes ». Aucune de ces marques pourtant ne réfute alors l’intérêt collectif. Les campagnes fonctionnent, sans tension. Les médias se revendiquent alors également – et bien légitimement – de la liberté d’informer. RTL en septembre 2024 en fait son totem publicitaire. Canal + affichait en sortie de confinement « un esprit de liberté (qui) souffle sur Canal + ». France Télévisions a même célébré les valeurs cardinales de la nation dans une campagne post-JO, célébrant la concorde nationale. |
Le jeu bascule lorsque la liberté n’est plus celle d’informer mais plutôt celle de la liberté d’expression. Europe 1 se revendique « Radio libre », au moment même où C8 perd le droit d’émettre (pour les raisons que l’on connaît). On assiste alors à un détournement de la valeur de la liberté. En se revendiquant « radio libre », Europe 1 suggère l’existence d’une ORTF qui rendrait la parole « contrôlée ». En s’auto-qualifiant radio libre, Europe 1 disqualifie également les autres radios qui ne le seraient donc pas… |
La liberté à tout prix donc… Nous sortons du « quoi qu’il en coûte » pour aller vers le « quoiqu’il en soit ». Quoi qu’il en soit, chacun a le droit de revendiquer sa liberté, sans limite…
Cet esprit libertarien souffle sur de nouvelles campagnes comme celle de BitPanda (publicité où l’Arc de triomphe semble écrasé par une nouvelle valeur, celle de l’argent et du bitcoin)… à moins que le jeu ne consiste à écraser littéralement les adversaires ? (cf. campagne Winamax et sa signature : « Ce qui compte c’est de gagner »). Écraser l’espace public c’est aussi ce que fait LVMH en occupant la 5ème Avenue à New-York avec d’immenses malles de la marque de luxe pour masquer les travaux de la boutique en cours.
Gagner, ce n’est pas toujours suffisant… C’est ce que semble penser la marque libertarienne, les Sherpas (soutien scolaire), qui incite tout bonnement à « Tricher » sur toutes ses affiches publicitaires. La fin justifie désormais les moyens.
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Le code a changé ? Les pouvoirs publics eux-mêmes s’inspirent parfois de cet esprit libertarien pour mieux capter l’attention. Une campagne de dépistage de santé publique joue la carte du quoi qu’il en soit (« Va chier ») pour mieux retenir l’attention de chacun, et inciter au dépistage du cancer du colon. |
Surfer sur des aspirations de plus en plus libertariennes, quitte à fracturer le collectif et le lien social ? Ou au contraire s’atteler à promouvoir la réconciliation et le rassemblement comme seul horizon commun possible ? Entre réel et valeurs, tel pourrait bien être le dilemme de la communication contemporaine. |
BOOK CLUB
Au retour de vacances, ne manquez pas le dernier Jablonka !
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L’historien, auteur du remarquable Laëtitia ou la fin des hommes, redonnant vie, dignité et humanité à Laëtitia Perrais, lâchement et sauvagement poignardée, étranglée et démembrée par Tony Meilhon dans la région de Pornic, poursuit son combat et son exploration socio-historique des « masculinités dévoyées ». |
Il publiera fin août La culture du féminicide, une analyse des représentations et des récits façonnés depuis des millénaires et nourrissant dans nos sociétés une culture du féminicide, « légitimant l’élimination des femmes ». Une lecture nécessaire et salutaire pour lutter contre la domination masculine, en ces temps de montée du mouvement Incel et de revival du masculinisme.
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3 IDÉES ANTI PRÊT-À-PENSER®
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Idée #1
Non, le charisme n’a rien à voir avec le charme !
Molly Worthen, professeure d’histoire à l’Université de Caroline du Nord nous libère avec son essai Spellbound (Forum Books) d’un sparadrap à la capitaine Haddock concernant le charisme : l’idée héritée de Max Weber que le charisme serait une qualité détenue en propre par le leader. Un je-ne-sais-quoi quelque part entre le magnétisme et le charme.
Or, selon elle, le charisme n’a rien à voir avec le charme : à ce jeu-là, les IA sont désormais plus fortes que les humains avec leurs algorithmes qui savent nous caresser dans le sens du poil (cf. le succès de l’IA Replika).
En réalité, le charisme ne se définit pas par ce que le leader est, mais par ce qu’il fait : à savoir une performance narrative. Et en héritier des puritains, mormons et autres gourous des années 70/80 que Worthen dissèque, il y a évidemment un certain Donald Trump…
Un livre qui épouse parfaitement son sujet : aussi envoûtant que flippant.
Spellbound, Molly Worthen
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Idée #2
Non, le « beauf » n’est pas une cause perdue !
Dans Ascendant beauf (Seuil), un essai mêlant autobiographie, critique sociale et pop culture, Rose Lamy — autrice et créatrice du compte Instagram Préparez-vous pour la bagarre — revisite la « beaufitude ». Pas comme simple catégorie sociologique, ni comme cliché à déconstruire mais comme le symptôme, autrement plus inquiétant, d’une hypocrisie collective.
Selon l’autrice, derrière l’humour de bon goût — y compris chez certains progressistes — se tapit un mépris de classe. Le « beauf » incarne cette figure « forcément » de droite et réactionnaire, donc irrécupérable.
En convoquant Joe Dassin, Renaud ou Francis Cabrel, Rose Lamy restitue une dignité politique et culturelle à ceux que l’on caricature trop vite par paresse en causes perdues. L’autrice fait éclater les condescendances ordinaires… en nous permettant au passage de rafraîchir nos playlists.
Ascendant beauf (Seuil), Rose Lamy
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Idée #3
Non, Mark Zuckerberg n’a pas changé !
C’était pourtant limpide : le hoodie disparu, remplacé par des manteaux en shearling, une chaîne en or et une montre Greubel Forsey à 900 000 dollars. Tous les signes étaient là : un nouveau Mark Zuckerberg était arrivé, désormais compatible avec les nouveaux cercles conservateurs au pouvoir.
Or un article signé Hannah Murphy pour le Financial Times Week-end nuance la portée de cette mue. Selon la journaliste, il s’agit moins d’une rupture avec son identité passée qu’une révélation tardive de son « moi profond », longtemps dissimulé derrière l’image progressiste et idéaliste, façonnée par ses débuts à Harvard et ses engagements philanthropiques.
Elle y voit la continuité désormais décomplexée de son obsession pour la domination et la victoire. À l’heure où la tech se réorganise autour de valeurs plus dures, Zuckerberg n’a pas tant changé que levé le masque.
Difficile dès lors de l’accuser d’opportunisme : il n’a pas retourné son hoodie, il n’en met tout simplement plus.
How Mark Zuckerberg unleashed his inner brawler (The Financial Times), Hannah Murphy
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L’OEIL DU DOCTEUR JEQUIER
Pour les Français, la fracture peuple/élite est la plus irréductible au sein de notre société
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Les fractures françaises sont depuis de nombreuses années largement documentées, analysées et disséquées. La littérature, la documentation et les données sont abondantes pour décrire les divisons qui s’enracinent dans le pays d’un territoire à l’autre, d’un groupe social à l’autre, d’une classe économique à l’autre, d’une appartenance politique à l’autre. Et les constats sont les mêmes, ceux d’une nation qui se fragmente et d’une République qui se fissure.
Fort de ce savoir, le baromètre de la réconciliation, réalisé pour France Télévisions par l’Institut Bona fidé présente une double originalité : d’une part il hiérarchise pour la première fois les différentes divisions entre groupes sociaux dans les représentations des Français, des plus réconciliables aux plus irréductibles ; d’autre part, il s’attache à dessiner des espaces et acteurs de la réconciliation dans une société divisée, et à identifier des axes majoritaires dans l’opinion, dans un système médiatique et politique polarisé. Il révèle trois enseignements majeurs :
- La fracture élites/peuple est aujourd’hui perçue comme la plus grave, et le responsable politique national est vu comme le premier acteur d’empêchement de l’unité.
- Alors que l’espace national et ses acteurs apparaissent divisant et diviseurs, le seul espace de réconciliation se construit autour du local, d’une sociabilité proche, de partage de micro-événements du quotidien et d’acteurs de proximité.
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Les électorats sont beaucoup moins polarisés que ne le sont les appareils politiques et les débats militants, dégageant des formes de consensus d’opinion sur une dizaine de mesures, à l’écart des polarisations. Il y a ainsi une forme de large « majorité silencieuse » qui se retrouve à la fois sur une demande de justice sociale et de plus grande fermeté en matière de sécurité. À titre d’exemples, une large majorité de sympathisants de gauche approuvent des mesures sécuritaires quand une large majorité de sympathisants de droite et du centre sont favorables au rétablissement de l’ISF ou à l’augmentation du SMIC de plus de 10%.
Retrouvez notre analyse et l’intégralité des résultats du baromètre de la réconciliation sur notre site.
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Samuel Jequier est le président de l’Institut Bona fidé. Vous souhaitez analyser les tendances qui transforment la société ou votre secteur d’activité pour bâtir des stratégies de communication pertinentes ? Pour tout besoin d’études, quanti ou quali, n’hésitez pas à le consulter ! |
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