Les NFT (« non-fungible tokens », littéralement « jetons non-fongibles ») représentent une des nombreuses possibilités offertes par la blockchain. Il s’agit de données représentant un objet (qui peut être numérique, comme une image ou une vidéo par exemple) auquel est associée une identification authentifiée par la blockchain. Concrètement, les NFT sont le plus souvent un titre de propriété numérique, qui donne à son propriétaire un certificat infalsifiable qui prouve qu’il est bien le détenteur de l’objet en question.
Depuis quelques mois, une certaine frénésie touche les NFT, avec une explosion du nombre de transactions et des montants engagés. Le dictionnaire britannique Collins en a même fait son « mot de l’année » 2021. En France, la start-up Sorare, dont le business model repose sur le principe des NFT, a accédé au statut de licorne avec la plus grosse levée de fonds jamais réalisée dans la French Tech. Dans le monde de l’art, des œuvres d’art virtuelles accèdent à des niveaux de valorisation phénoménaux : Beeple, un artiste qui vendait ses œuvres pour quelques centaines de dollars il y a peu, est désormais un des artistes les plus cotés au monde, avec des ventes qui atteignent plusieurs dizaines de millions d’euros.
Après le « web 2.0 », qui représentait l’ère du web participatif (YouTube, Wikipédia, réseaux sociaux…), le « web3 », dont les NFT sont un des avatars, symbolise la promesse d’un Internet décentralisé fondé sur la blockchain. Au-delà des NFT, le métavers aiguise aussi les appétits : Meta (la maison-mère de Facebook) base une partie de sa stratégie sur ce concept, et Carrefour a annoncé il y a quelques jours avoir acquis un espace dans le métavers (sans préciser réellement les contours de cet investissement).
Deux actualités récentes illustrent le flou autour des NFT :
- Julian Lennon, le fils de John Lennon, a vendu (virtuellement) des NFT de souvenirs (réels) des Beatles, dont il a gardé la propriété physique. Il s’agit d’un exemple parmi d’autres de ventes événementielles de NFT, qui ressemblent en réalité davantage à de la valorisation d’actifs.
- Un collectif lié aux crypto-monnaies a acquis pour plusieurs millions de dollars un exemplaire du livre détaillant le projet d’adaptation de Dune par Alejandro Jodorowsky dans les années 1970, qui n’a finalement jamais vu le jour. Le collectif souhaitait brûler le livre pour que celui-ci ne soit plus disponible que sous la forme d’un NFT (notamment pour accroître sa rareté et donc sa valeur), puis commercialiser des produits dérivés, en pensant à tort que la détention du NFT lui donnerait également les droits d’adaptation sur l’œuvre.
En dépit de ce flou ambiant, le marché est en pleine croissance, avec des transactions qui interpellent. Il y a quelques jours, le NFT d’une photo (sous format JPEG) de poubelle a été vendu 220 000 euros à un collectionneur, alors même que la photo est librement accessible sur le web par chacun. Ce qui est acheté à prix d’or, c’est un certificat, avec des acquéreurs qui font le pari d’une hausse à venir. D’une certaine manière, les NFT reposent sur le même principe que les entreprises qui proposaient il y a quelques années d’acheter ou de nommer des étoiles. Celles-ci restent inaccessibles (ou au contraire, dans le cas des NFT, accessibles à tous), sans possession tangible, mais ceux qui sont prêts à mettre la main à la poche peuvent devenir d’heureux détenteurs d’un certificat.
Pour l’instant, il s’agit vraisemblablement surtout pour des artistes cotés de faire fructifier leur notoriété dans une logique de retour sur investissement avant l’explosion de la bulle, sans parler des nombreuses personnes qui proposent à la vente des NFT d’œuvres d’art qui ne leur appartiennent pas. Tout cela ressemble à une gigantesque illusion collective qui alimente une folie spéculative, alors que personne ne sait encore ce qui distingue véritablement les NFT des autres images ou vidéos accessibles sur Internet.
Au fond, la période actuelle rappelle à bien des égards « Les Habits neufs de l’empereur ». Dans ce conte d’Andersen, deux escrocs proposent au souverain de lui tisser une étoffe qui resterait invisible aux sots et aux incompétents. Après plusieurs jours de travail, ni l’empereur, ni ses courtisans ne purent voir le tissu (qui en réalité n’existait pas). Comme personne n’osait l’avouer, de peur de passer pour un imbécile, l’empereur finit par se présenter devant son peuple dans le plus simple appareil. Seul un enfant osa exprimer ce qui était évident aux yeux de tous depuis le début : « Le roi est nu ! ».
Pour les NFT, qui osera enfin dire que le roi est nu et que tout cela n’est, aujourd’hui, rien de plus que du vent ?
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